Pref Archives Mars 2010
Pipi De Frèche : Baroque Bordello
Photographies : Fred Morin & Pascal Lièvre
Assisté d’Abel C.LLavall-Ubach
1981, les Etats-Unis succombent à Ronald Reagan qui devient président et à Kim Carnes qui fait danser la planète entière avec Bette Davis eyes , l’Angleterre thatchérienne hurle Don’t you want me des Human league et François Mitterrand s’installe à l’Elysée dans cette même France qui chante Il suffira d’un signe de JJ Goldman et où Pipi De Frèche naît dans une famille populaire à Corbeil.
Il quitte très vite la région parisienne pour aller vivre dans un petit village près d’Aix-en-Provence. De sa période scolaire assez chaotique, seul son passage dans un lycée autogéré, où il suivra des cours sur l’image l’intéresse ce qui le conduira à la Fac d’art plastique à Aix-en-Provence pendant trois ans, ville où il s’ennuie à mourir. Son mémoire porte sur « le mou dans l’art ». Il découvre alors la sculpture et la couture et joue avec les lois de la pesanteur. Il aime travailler sur le volume avec des matériaux pauvres, des vêtements qu’il coud créant des groupes de formes molles. Il termine ses études à l’école des beaux-arts de Cergy où il a du mal à s’intégrer car il n’aime pas les relations entre profs et élèves qu’il trouve assez malsaines. Il préfère quitter l’école sans passer le diplôme.
C’est aussi l’époque où Pipi découvre les soirées du Pulp, le cul, les théories queer. Il lit Marie Hélène Boursier et Béatrice Préciado qui le stimulent beaucoup. Un de ces amis lui fait connaître les Panthères Roses qui se définissent comme Gouines, trans et pédés énervéEs par l’ordre moral, le patriarcat, le sexisme, le racisme, le tout-sécuritaire, les régressions sociales. C’est un groupe de résistance célèbre pour ses actions en tous genres. Être pédé devient pour lui alors une aventure passionnante.
Il investit très vite les codes vestimentaires. L’over look devient à ses yeux une action politique, ne se sentant pas assez militant pour manifester ou acter dans la rue bien qu’il reste fasciné par ceux qui agissent.
Dans les soirées du Pulp mais aussi du Twin’s, il rencontre un groupe de personnes qui aspire comme lui à la fête, à jouer avec les codes identitaires et vestimentaires et qui aime autant l’électro que la pop et le rock.
Il devient vite un habitué de ces soirées. Quand on proposera à la joyeuse bande dont il fait désormais partie d’en créer une, il s’y retrouve naturellement embarqué. Ce sera la Jacqueline coiffure se définissant comme la soirée electro-trashy-pop la plus connasse de Paris. Après une première édition au Twin’s , elle se tiendra pendant deux ans au Pulp. Une soirée où Pipi file d’abord un coup de main en composant des flyers jusqu’à se retrouver un jour aux platines. Ce jour-là Pipi a la trouille, il n’est pas très à l’aise encore avec les machines, il décide donc de cacher sa peur en portant des vêtements extravagants. Ce sera un succès.
Hélas le Twin’s et le Pulp ferment. Ses amis DJ, Dactylo, Nizar et Pousse disque veulent continuer. En septembre 2007, ils créent ensemble Le Cabaret furie à la java. L’entrée à 5 euros, des boissons pas chères, des performances, des concerts, de la musique et une faune toujours de plus en plus importante de gouines, pédés et hétéro friendly s’y retrouvent. Cependant la partie performance est difficile à tenir à cause du manque de performeurs et d’un public pas toujours réceptif. Un an après la soirée disparaît au profit de la fameuse Flash Cocotte, plus orientée clubbing. La bande des quatre mixe toute la soirée et invite de temps en temps des DJ plus prestigieux comme Mark Moore, qu’ils apprécient.
En même temps Pipi et son ami Nizar deviennent directeurs artistiques d’un bar du marais, les Souffleurs. Plus expérimental à leurs yeux, le lieu devient un laboratoire fantastique où se créent de très nombreuses soirées. L’ambiance y est très chaleureuse, Lalla Kowska-Régnier y fait régner une atmosphère détonante et les soirées finissent toujours dans une ambiance survoltée.
Pipi De Frèche Dj, qu’est-ce que c’est ? Pipi n’a jamais composé de maquettes qu’on envoie habituellement aux labels electro ou à des producteurs de soirées, les choses se sont enchaînées toute seule, il a donc appris sur le tas. Pipi s’informe sur des blogs, échange avec une communauté de passionnés comme lui, télécharge les musiques qu’il compile ensuite sur des Cds. Il fait partie de cette génération de DJ qui mixe avec ce qu’elle a sous la main, le MP3. Il ne se sent pas concerné par le fétichisme du vinyle, ne supporte pas les mixs savants construits comme des opéras et il préfère nettement les ruptures et les liens provoquées par les mix de morceaux d’époques différentes. Le mixage est toujours un art de la déviation, de la captation de musiques différentes et de leur agencement par des structures singulières. Les mixs de Pipi sont des registres de collisions, un mode de prise de risque qui a pour objectif avant tout : la fête.
Pascal Lièvre