1 votre définition du dessin par rapport à votre démarche ?
Le dessin est lié à une histoire d’enfance traumatisante, je devais avoir sept ou huit ans quand j’ai dessiné un Mickey à l’aide d’un papier calque. Mes parents se sont extasiés dans un premier temps quand je leur ai montré le résultat puis quand je leur ai expliqué que je m’étais servi d’un calque et qu’ensuite j’avais reporté le dessin, ils se sont moqués de moi en me disant que la chose était facile puisque j’avais triché. Cela arrêtât net toute relation avec le dessin pendant presque vingt ans, le fait d’être soupçonné de mensonge et de tricherie parce que j’avais utilisé un modèle, avait été insupportable.
C’est bizarrement ce traumatisme qui est à l’œuvre quand je dessine, la relation entre le dessin et le mensonge (ou la vérité) opère toujours. Je recopie les œuvres des autres, dans ce geste de mimesis, je trace les contours des sujets peints et les remplis ensuite. Je soustrais donc à la peinture de nombreux paramètres afin de la réduire à un dessin originel, presque une structure minimale, un pictogramme.
2 l’économie du dessin, économie de moyen que représente le dessin quelle importance pour vous ?
Je ne dessine jamais en dehors de l’atelier, le dessin est pour moi le résultat vers lequel je tends, je ne m’imagine plus aujourd’hui me promenant avec un carnet à croquis et un crayon pour dessiner.
Le sens économique dans ma démarche artistique est lié à la réduction des œuvres originales en pictogrammes, en logos, comme si l’une des conséquences du travail consistait à appauvrir l’œuvre, à la conduire dans le lieu même de l’illusion d’un affaiblissement de sa représentation par le dévoilement de ses mécanismes, et à penser l’affaiblissement du dévoilement lui-même.
3 Nulla dies sine linea (Apelle) importance de la ligne dans votre œuvre, fonction, symbole…(en terme de trait, d’espace, de continuité, de lien…mais aussi mélange des différentes strates…)
Dans cette recherche sur l’histoire de l’art, je me confronte aux lignes des autres mais aussi à la linéarité d’un discours historique sur ces lignes tracées, je joue entre ces lignes.
J’ai réalisé une série d’ombres sur papier soit une centaine d’œuvres traduites en ombre chinoise de Cimabue à Maurizio Catellan, que je présente comme une tentative de play-back d’une histoire de l’art, cette série me sert de base de données, comme un alphabet que j’utilise et articule sur des toiles aujourd’hui. La puissance du sujet représenté apparaît dans sa nudité et malgré l’élimination du paysage et des couleurs, elle s’en trouve renforcée.
Dans Uccello grenadine, je reprends la scène de la bataille de San Romano en dessinant les contours, du sujet éliminant le paysage et réduisant toutes les couleurs à un noir mat, la scène devient une ombre chinoise en suspension dans un espace grenadine, toute la construction mathématique du peintre pour traduire au plus juste le réel se trouve anéantie, traduite dans un langage autre. Ce tableau est particulièrement important car il illustre à la Renaissance un moment d’excellence dans la construction des perspectives. Je le projette dans un autre espace celui d’un monochrome pop, un déplacement de langage opère.
4 La dimension de l’exposition, s’installer dans un espace, frontalité, bidimensionnalité et tridimensionnalité, quel dialogue ?
L’espace d’exposition est capital dans mon travail, tel un curator je choisi des œuvres d’artistes issue de la série de la centaine de dessins qui représente une base de donnée, je les traduit ensuite sur toiles et les présente dans l’espace d’exposition les unes aux autres, en cela je parle d’espace de rencontre, Paolo Uccello rencontre Jeff Koons, Mike Kelley Sassetta dans cette espace du Triage, ces œuvres vont partager une certaine intimité, exposées sur des murs comme les toiles originales (exception faite bien sur de l’œuvre de Koons qui est une sculpture à l’origine).
Dans « 1955 Jeff Koons/ Mode et travaux » il y a passage du tri au bidimensionnel, d’un objet/sculpture traduite en objet/ peinture et la rencontre entre l’année de naissance de l’artiste, une de ses œuvres réalisées en 1986 et des modèles à reproduire de la fameuse revue, une certaine familiarité peut être lue dans le graphisme simple du lapin de Koons et de ces dessins, c’est un dialogue supplémentaire que je rajoute ici par rapport aux toiles peintes sur des fonds monochromes.
Le dialogue se passe donc à l’intérieur de la toile mais aussi entre les toiles elles même, on pourrait parler d’une esthétique relationnelle des objets.
5 la question du dialogue entre dessin/langage/écriture (humour, jeu de mots, rébus, citation, idéogramme, pictogramme, narration, signe…)
Tout mon travail se base sur des jeux de langage et de traduction, le tableau « saint Antoine battu par les monstres » de Sassetta par exemple qui est présenté au Triage est peint en rose pop sur un fond jaune fluo, ces couleurs très présentes aujourd’hui dans la peinture japonaise apparentent ce tableau de la Renaissance à un manga, la lecture de cette œuvre en est très joyeusement altérée.
Comme dans mes vidéos où des textes psychanalytiques ou politiques sont chantés sur des succès musicaux pop, les œuvres des artistes du passé et du présent sont interprétées, comme dans un karaoké, sur des couleurs pop.
Cette terminologie habituellement utilisée pour parler de la musique populaire, karaoké, play-back, pop, s’applique ici aux œuvres plastiques, le langage crée ainsi un autre de l’art, un espace de rencontre interdisciplinaire créatif de liens entre les histoires de l’Histoire de l’art.
6 Les singularités, votre forme d’engagement, être contemporain, qu’est ce que ça signifie, votre rapport à la réalité : articulation espace public/privé, lien social, relation amoureuse, …
Je suis tous les jours confrontés à cette problématique entre espace public et privé, que cela soit pour les images que je peins, les sons et les textes que j’utilise dans mes vidéos, car ils ont été créés par d’autres artistes, ces espaces privées je me les approprie et les présente au public.
Etre contemporain pour moi c’est se confronter à la question de l’histoire, comment raconter l’Histoire, les histoires, et surtout dans quel langage.
Je suis parti de mon impuissance à représenter le réel en montrant comment les autres le traduisent, car pour moi le réel n’a jamais été une notion très claire, le réel de l’autre m’intéresse toujours beaucoup plus, jusque dans mes relations amoureuses où le désir de l’autre est toujours celui qui prime. Quand j’étais plus jeune, je pensais ne pas avoir de personnalité, j’ai commencé à observer les autres afin de comprendre et très vite d’utiliser leurs modèles. J’ai ainsi passé un temps infini à me mettre dans la peau des autres afin de trouver ce qui m’appartenait, ce long apprentissage, m’amène aujourd’hui à jouer avec tous ces modèles mais aussi à révéler mon impuissance à être. Je ne suis pas peintre, je peins les tableaux des autres, je ne suis pas chanteur, je chante des textes et les musiques des autres, et c’est dans ces traductions personnelles que je me mets à être, à exister, c’est par l’autre, les autres que je suis, mon espace privé est public.
Communiquer comme le dit Sloterdijk ce n’est pas transmettre des informations mais plutôt transmettre des émotions, communier, je m’interroge sur ces communions possibles, ces publics appelés à communier ensemble dans l’espace d’exposition.
7 Rapport dessin/couleur
La couleur me sert à montrer le dessin plus encore, à le valoriser. Dans les quatre tableaux présentés ici elle est toujours signifiante, elle opère des déplacements de langage et me permet de créer des rencontres esthétiques inédites.