Solo Show Pascal Lièvre Galerie Vanessa Quang, Paris 4 septembre-30 octobre 2010
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Il a dix ans de plus que tous ces gens de la nuit, qui griffonnent au gros feutre violet sur leur agenda du Palace : ‘aller voir show travelo plus film Warhol. Fête de Farida. Coucher 15h-18h. Soire?e noire perruque blonde’. Laurence Benaim, Yves Saint Laurent
Fulgurances de Bad Romance/Sad Romance, où les œuvres sont vêtues pour la nuit. Cette nouvelle exposition de Pascal Lièvre, qui rassemble tableaux, photos, vidéos, et une installation, poursuit la démarche au cœur de son œuvre, celle qui postule sa singularité. L’artiste retient des créations tirées des hautes sphères de l’art, de Delacroix a? Murakami, de MichelAnge à Bourgeois, d’autres de la culture de masse, Hitchcock, Lady Gaga, puis les vident tout en préservant le contenant. Cet équarrissage du sens aura livré par le passé une série de tableaux dans lesquels ne subsistaient que la silhouette des figures, remplies d’une palette, d’un aplat, correspondant à la thématique d’une série, telle Made in France. Dans ses vidéos « pop politique », la mélodie pouvait se chanter sur des textes traversés par Bush et Mao.
Bad Romance ne déroge pas à cette règle, mais amène cette fois un supplément spectral frayant son chemin. La dimension ludique propre à cette œuvre laisse entrevoir ici quelque chose qui vient hanter l’espace. Des grands disparus de l’art contemporain, Journiac, Flanagan, Bourgeois croise?s dans la première salle, à la dernière qui anticipe la mort annoncée d’une jeune femme Irakienne, déjà recouverte d’un linceul, avec en voix off une vidéo récitant les paroles de Bad Romance de Lady Gaga -I don’t want to be friends-.
De la vidéo The Birds dans laquelle ne sont conservés que les plans des oiseaux (à la manière du Where is Michael ? de 2009, qui annonçait déjà le mort), où l’homme ne figure plus, à la série Paris is Bourgeois, dans laquelle la grande araignée (Mihai Grecu, maître-dresseur de bestiaire numérique, fut convié à lui insuffler vie) semble pondre ses œufs à travers Paris, nous sommes face à un heureux travail de deuil. Heureux car l’artiste a remplacé ses plages de couleurs par un coloris de paillettes, manière glitter de réanimer des œuvres trop vite figées.
La paillette agit ici comme un enduit, comme le grain du tableau, l’aplat qui scintille. Tout en habillant les tableaux de cette poussière d’étoile dans laquelle baigne le climat des œuvres.
Pas de boule de miroir cependant pour re?animer tout cela mais ici et la? des rappels glitter, via une collusion entre Bronski Beat et Margaret Thatcher, dispersés sur des photos, une vidéo, qui font la part belle au diable. Ce qui pouvait prétendre a? la célébration d’avatars glam nous amène davantage vers une cérémonie, célébrée par ailleurs par trois performers invités par l’artiste lors de la soirée du vernissage. Des performers auxquels Pascal Lièvre ne substitue rien, qui auront incarné le sparkle vital, diurne, pulsant de cette exposition, brillant manifeste de la culture queer Paris.
Le chanteur Pierre Pascual, solide gaillard barbu aux yeux de faon, vêtu d’un short moulant, de bas résille et de doc martens, tout en noir, interprétait une version acoustique d’un medley de Sweet Dreams des Eurythmics (Annie Lennox hantée par Bowie) et Bad Romance de Lady Gaga, réceptacle de toute cette pop Anglaise née jadis dans les écoles d’art, façon Marilyn Manson tendre ; puis le séduisant géant Benjamin Dukhan, Lynché en, figure magistrale de promesse de la danse et performance actuelle, occupant la salle « rouge » de l’exposition, tableaux, paillettes, murs rouges, masqueépar deux fois, un lièvre puis un porc avant de se révéler dans une pièce à la croisée de Dean Stockwell dans Blue Velvet et du monde noir de Twin Peaks (Dukhan opérait en temps réel une véritable métamorphose de l’espace).
Enfin Michael Cros et Pascal Lièvre, pour une reprise de la célèbre séquence de Titanic de Cameron, projetée, dans laquelle DiCaprio dessine ce nu de Kate Winslet, au pendentif bleu d’azur entre ses seins, avant de devenir plus tard ce même bijou conservé dans les eaux glaciales. Cette fois, la tête de l’artiste servit d’apparat, enduit de paillettes bleues. La mort de DiCaprio, écho pop d’un amour condamné à celui interdit de cette femme enterrée, qu’on enfonce. A la fin de la performance, une marée de cristaux bleus recueillis par quelques spectateurs qui se saupoudrent à leur tour.
La fine intelligence qui traverse Bad Romance confère à chaque œuvre qui la compose un statut de legs de la morale, de la passion de cette époque.
© Stephen Sarrazin Turbulences Vide?o #69, Tokyo Sept. 2010