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LACAN, L’EXPOSITION
QUAND L’ART RENCONTRE LA PSYCHANALYSE
Du 31 décembre 2023 au 27 mai 2024
Galerie 2
Commissariat : Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, historiens de l‘art, associés à Gérard Wajcman et Paz Corona, psychanalystes.
La pensée de Jacques Lacan est avec celles de Roland Barthes, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze, essentielle pour comprendre notre contemporanéité. Or, si des hommages et des expositions ont déjà considéré la plupart de ces figures intellectuelles, la pensée de Lacan reste à ce jour, sur le plan muséal, inexplorée, alors que ce dernier a entretenu une relation très forte avec les œuvres d’art. Lacan n’a-t-il pas déclaré dans un texte consacré à l’œuvre de Marguerite Duras que « en sa matière, l’artiste toujours […] précède [le psychanalyste] et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où l’artiste lui fraie la voie » (« Hommage fait à Marguerite Duras du Ravissement de Lol V Stein » (1965), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001).
Sous le commissariat de Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, l’exposition du Centre Pompidou-Metz sera la première consacrée à Jacques Lacan. Plus de 40 ans après la mort du psychanalyste, il apparaît en effet essentiel d’envisager une exposition liée aux relations privilégiées de Lacan avec l’art, en mettant en résonance à la fois les œuvres qu’il a lui-même indexées, les artistes qui lui ont rendu hommage, ainsi que les œuvres modernes et contemporaines qui peuvent faire écho aux grandes articulations conceptuelles de sa pensée.
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Lacan ouvre un champ novateur qui s’inscrit au cœur de notre modernité et de notre actualité. On se débat aujourd’hui avec des problèmes de sexe, d’amour, d’identité, de genre, de pouvoir, de croyances ou d’incrédulité, autant de questions sur lesquelles le psychanalyste a apporté des repères précieux.
Le parcours est à voir et à expérimenter comme une traversée des notions spécifiquement lacaniennes, à commencer par le stade du miroir, qui a fasciné nombre d’artistes et de cinéastes. Puis est interrogé le concept de lalangue, mot inventé par Lacan pour désigner une forme et une fonction du langage plus en prise avec ce que le psychanalyste qualifie de réel, et qui résonne avec le travail d’artistes qui ont joué avec les mots, le double sens, le babillage, voire le langage des oiseaux, sans oublier le rapport à la poésie. La section Nom-du-Père sera quant à elle l’occasion de repenser la notion patriarcale. S’ouvre alors la section de l’objet a, une invention de Lacan pour qualifier l’objet cause du désir en tant que manque, reste et chute, qui se déploiera en de multiples variations : chute, phallus, sein, corps morcelé, merde, voix, rien, regard et enfin trou.
Le chapitre consacré à L’Origine du monde de Gustave Courbet sera crucial dans ce parcours. Acquis par Lacan et son épouse Sylvia en 1955, ce tableau, derrière le panneau peint par André Masson, a suscité de nombreuses interprétations contemporaines. Si Lacan n’a pas parlé du tableau de Courbet qu’il possédait, il a consacré quatre leçons de son Séminaire XIII à l’analyse des Ménines de Diego Vélasquez, en se référant au Portrait de l’Infante Marguerite Thérèse, conservé au musée du Louvre. Une section célèbre ce tableau, emblématique de l’acte même de peindre, que Lacan analyse dans le détail jusqu’à pointer la fente sertie dans la robe de l’Infante.
La section La Femme n’existe pas est dédiée à la fameuse formule de Lacan qui insiste sur le fait qu’il n’existe pas d’essence de la femme, et montre les œuvres d’artistes qui mettent en perspective les représentations misogynes. La féminité est souvent multiple et la section mascarade rendra hommage au concept de Joan Rivière, repris à son compte par Lacan. La mascarade est à l’œuvre chez de nombreux artistes qui recourent aux travestissements, con rmant la position de Lacan pour qui l’anatomie n’est pas le destin, à savoir que le genre ne correspond pas nécessairement au sexe assigné à la naissance.
Selon la fameuse formule de Lacan, Il n’y a pas de rapport sexuel. Tel est le titre d’une section organisée autour de la réplique du Grand Verre de Duchamp, dans lequel la jouissance de la mariée du registre du haut s’e ectue sans qu’il y ait de contact physique avec les célibataires du registre du bas. L’amour, qui est pour Lacan « ce qui supplée à l’absence de rapport sexuel » (Encore, Le Séminaire, Livre XX, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975), est néanmoins ce qui ouvre à la jouissance – « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir » (L’Angoisse, Le Séminaire Livre X, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2004). Une section explorera la jouissance, féminine d’abord, dont Lacan situe l’acmé dans les jaculations mystiques gurées dans L’Extase de sainte Thérèse du Bernin, et qui trouvent des avatars contemporains dans les œuvres d’Anselm Kiefer, ORLAN, jusqu’aux performances des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence.
Les dernières années de l’enseignement du psychanalyste font la part belle à la topologie, aux nœuds borroméens, aux bandes de Moebius et autres bouteilles de Klein. La dernière section de l’exposition re ète autant l’intérêt porté par Lacan pour les nœuds et tressages de François Rouan, artiste qu’il rencontra à la Villa Médicis et pour lequel il écrivit un texte, que l’in uence des préoccupations topologiques de Lacan sur les artistes contemporains. Le parcours s’achève par un cabinet de curiosités, intitulé Curiosa, montrant en quoi la gure de Jacques Lacan reste une source d’inspiration inépuisable pour les artistes de notre temps.
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Introduisant l’exposition, une vaste biographie rappelle les principales étapes de l’œuvre et de la vie de Jacques Lacan. Le visiteur est ainsi confronté dès l’entrée à sa personne et à sa voix, grâce à l’unique intervention qu’il t à la télévision en 1974, et que lma le jeune Benoît Jacquot. Seront évoquées sa formation avec celui qu’il considère comme « son seul maître en psychiatrie » (Écrits, Paris, Seuil, 1966), Gaëtan Gatian de Clérambault, ses relations avec l’avant-garde (Salvador Dalí, André Masson, Georges Bataille, Pablo Picasso, Dora Maar) et avec les gures intellectuelles qu’il a côtoyées (Alexandre Kojève, Maurice Merleau-Ponty, Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss, Martin Heidegger, Roland Barthes, Michel Foucault). Sa passion pour la calligraphie et la pensée chinoise y est aussi mentionnée.
Lacan a fréquenté au plus près l’art et les artistes du xxe siècle, et n’a eu de cesse dans son enseignement de puiser dans l’art de tous les temps. Il a tenu sur celui-ci des discours aussi neufs qu’insolites, qui ont su retenir, intriguer et provoquer nombre d’artistes contemporains. Il a interprété les œuvres non seulement comme des puissances capables de donner à voir, mais bien comme des objets-regards éblouissants, dardés sur les spectateurs. On a voulu, en consacrant une exposition à Jacques Lacan, entourer son personnage fascinant d’une multitude de ces regards.
On est bien loin ici d’une interprétation psychanalytique de l’artiste. Le psychanalyste est tout le contraire d’un maître : il se met à l’école de l’œuvre d’art, il se fait docile à sa vérité originale, il tente de déchiffrer le savoir inédit qu’elle recèle. C’est pourquoi cette exposition n’est pas seulement un hommage à la psychanalyse : elle célèbre aussi ce qui demeure, au-delà de toute élucidation, le mystère de l’art. Lacan, à la fin de sa vie, ne l’entendait pas autrement.