Going under

2016

Galerie Maubert, Paris 18 juin au 30 août Commissaire : Julie Crenn

Galerie Maubert , 20 rue St Gilles, Paris
18 juin au 30 août
Vernissage samedi 18 juin de 15h à 20h.
Commissaire : Julie Crenn

Présentation de Gold Kusama et de la vidéo Dog duet

avec Claude Cattelain, Isabelle Ferreira, Koyo Hara, Elizaveta Konovalova, Pascal Lièvre, Edith Magnan, Régis Perray, Myriam Omar Awadi

Who will decide the shape of things
The shift of being
Who will perceive
When life is new
Shall we divide and become another
Who is due for gift upon gift
Who will decide
Shall we swim over and over
The curve of a wing
Its destination ever changing

Patti Smith – Going Under (Dream of Life, 1988)

Un geste, aussi simple soit-il, engage un processus créatif. Il constitue un point de départ et participe de la manifestation, visible ou invisible, d’une pensée. Il s’agit alors de mettre en mouvement le corps pour mettre en œuvre une idée, pour œuvrer. La racine latine de l’œuvre, opus, renvoie à l’accomplissement d’une idée par le travail. Œuvrer, travailler, agir, élaborer, user. Dans un système de fabrication (artisanale, ouvrière, industrielle), lorsqu’un geste est répété inlassablement, jusqu’à l’épuisement, il s’inscrit dans une logique de production. À plus ou moins grande échelle, le corps est mis à l’épreuve, il performe pour un objectif, un rendement. Respecter une cadence, être performant, être endurant, optimiser les gestes, être productif. Le corps est un outil de travail.

Même la répétition la plus mécanique, la plus quotidienne, la plus habituelle, la plus stéréotypée trouve sa place dans l’œuvre d’art, étant toujours déplacée par rapport à d’autres répétitions, et à condition qu’on sache en extraire une différence pour ces autres répétitions.[1]

À travers l’histoire de l’art, la répétition est présente aussi bien dans l’art aborigène que dans l’œuvre de Roman Opalka, en passant par l’art du mandala ou les dots de Yayoi Kuzama. La répétition implique un engagement, corporel, mental, voire spirituel. Elle s’inscrit dans un rituel dont les artistes définissent les codes. Ils épuisent un même geste au sein d’un protocole précis : poncer, marteler, creuser, agrafer, copier, assembler, récolter, dessiner, multiplier marcher, courir, déposer. Armée d’un marteau, Isabelle Ferreira frappe le bois peint. Geste par geste, elle sculpte et compose la matière picturale. « La multitude des touches, construites par soustraction de la matière, rappelle des coups de pinceaux en négatif empruntés à la gestuelle du peintre mais aussi à celle du tailleur de pierre. » Régis Perray ponce délicatement la surface de peintures chinées sur les brocantes. Il retient des sujets classiques (natures mortes, paysages, portraits), qui, une fois poncés, entretiennent un rapport au corps et au temps. Dans le sable, Claude Cattelain marche sur place jusqu’à à la tombée du jour. Il endure physiquement la matière, l’espace et le temps. Elizaveta Konovalova observe attentivement l’empreinte des gestes répétés au quotidien d’ouvriers russes qui écrasent leurs cigarettes contre un mur, ou d’un instrument de musique qui, jour après jour, marque le sol du métro parisien. Édith Magnan récolte de la terre et déploie un travail de sculpture fragile, performative et éphémère. Au Brésil, elle marche stoïquement harnachée d’un drapeau qu’elle a modestement fabriqué à partir de bois et de terre séchée. Myriam Omar Awadi dessine des petites fleurs bleues à l’infini. Non sans ironie, elle fait appel à l’imaginaire collectif pour sonder les questions de l’amour, de la séduction et du romantisme. Koyo Hara pratique le dessin automatique, puis en sélectionne des fragments pour les répéter sur la toile. Entre citation et interprétation, Pascal Lièvre pioche dans l’histoire de l’art et répète les gestes des autres : Yayoi Kuzama – Bruce Nauman.

Alors, la répétition engendre la réactivation de gestes mécaniques, quotidiens, habituels et stéréotypés. Les gestes ordinaires se font extraordinaires par le déplacement de leur fonction usuelle. « Car, il n’y a pas d’autre problème esthétique que celui de l’insertion de l’art dans la vie quotidienne. Plus notre vie quotidienne apparaît standardisée, stéréotypée, soumise à une reproduction accélérée d’objets de consommation, plus l’art doit s’y attacher, et lui arracher cette petite différence […]. »[2] Avec un investissement total, les artistes s’inscrivent volontairement dans un champ anti-spectaculaire, improductif, modeste ou absurde. La répétition engendre une réflexion portée sur le temps, le corps et l’espace. Who will perceive, when life is new. Tel qu’il est envisagé par les artistes de l’exposition, le geste répété engendre une volonté d’agir sur le réel, de le travailler pour le transformer en profondeur.

[1] Gilles Deleuze – Différence et répétition, 1968