La paillette est associée à l’histoire de l’art depuis trente mille ans. Dès les premiers gestes de peinture les hommes ou les femmes préhistoriques de cultures ou situations géographiques différentes utilisèrent de la poudre de mica dans certaines parties de leurs œuvres. L’adjonction de paillettes de mica noir (du latin micare : briller, scintiller) dans l’art rupestre, appelées aussi « biotite », donnait un aspect irisé à la peinture qui devait chatoyer à la lumière d’une flamme.
C’est un peu par hasard que l’américain Henry Ruschmann invente en 1934 une nouvelle façon de broyer les matières plastiques et fabrique ainsi les premières paillettes telles que nous les connaissons aujourd’hui avec un slogan visionnaire : Our glitter covers the world.
La paillette va peu à peu s’immiscer dans de nombreux domaines de la société et se transformer au fil du temps pour être aujourd’hui utilisée dans la mode, la décoration, le maquillage ou les œuvres d’art.
C’est en 1973 que l’artiste français Robert Malaval introduit des paillettes sur ses toiles, d’abord comme simple pigment puis comme matière, qui devient ainsi sujet du tableau. Son geste sera suivi par de nombreux artistes : John Armleder fera couler des paillettes sur ses peintures abstraites ou Liam Gillick étendra au sol des paillettes rouges afin qu’elles se disséminent dans tout l’espace d’exposition puis hors du musée.
En 2008 je commence à abandonner la peinture sur mes toiles au profit de la paillette. Contrairement à mes ainés, c’est l’aspect sculptural de la paillette qui m’intéresse. J’envisage les toiles comme des socles sur lesquels sont collées des paillettes que je nomme sculptures plates.
Comme un musicien reprend un standard musical pour en donner une nouvelle interprétation, je joue avec le répertoire de l’art et y pose un regard critique, politique ou parodique. Il s’agit avant tout de remettre en cause l’aspect autoritaire des discours historiques, produit autant par la critique que par le marché.
Les œuvres d’art, comme l’annonce très tôt Donald Judd*, sont transformées et dévoyées autant par les musées que par les foires ou les collectionneurs : peu respectant l’œuvre dans sa présentation initiale, ils la transforment en fétiche. C’est alors surtout à une destruction du sens même de l’œuvre à laquelle nous assistons.
Je sélectionne des œuvres qui font autorité dans l’histoire de l’art, je les redessine, je remplis ensuite ces formes de paillettes, collées et vernies. Précis et précieux, ces gestes de recouvrement tracent les contours d’une œuvre qui travestit l’œuvre originale.
Il s’agit avant tout de remettre en cause l’aspect autoritaire des discours historiques dans le champ de l’art. L’aspect iconique est traduit par la paillette qui fait briller la forme autant qu’elle la transforme. C’est une sorte d’aveuglement que je cherche à mettre en scène.
La paillette est un élément de la culture populaire, c’est un matériau pauvre, peu onéreux qui produit un effet immédiat par ses propriétés de captation de la lumière. Je propose donc une traduction d’œuvres iconiques avec un matériau pauvre, une appropriation de tout ce qui brille par une matière brillante à la portée de tous. Une appropriation que chacun d’entre nous crée en reprenant les codes de la lumière pour briller de tous ces feux comme un diamant, comme le chante Rihanna**.
Faire briller les roses de Redouté, les tableaux expressionnistes de Jackson Pollock, les formes conceptuelles de Sol Lewitt afin que ces formes performent autrement la lumière, se transgenrent, se glamorisent pour devenir des objets précieux : c’est tout un art du camouflage et du déguisement que je mets en place pour permettre d’en dévoiler autant la plasticité que les artifices.
Erigées comme des totems magiques et iconiques, les œuvres minimalistes, abstraites ou figuratives des auteurs, pour la plupart blancs, occidentaux et mâles, se transforment en fétiches queer.
Pascal Lièvre
* Donald Judd, Ecrits 1963-1990
** Rihanna Diamonds 2012