Populaire, Propos recueillis par Alain Berland & Gaël Charbau, revue Particules

Parallèlement à son activité de peintre, Pascal Lièvre mène depuis quatre ans une réflexion sur l’art vidéo et la chanson populaire. Dans sa production se côtoient de manière improbable, Abba, Bush, Dalida, Lacan, Mao, Piaf

Identité

Je ne sais pas qui je suis ; j’ai un vrai problème d’identité. Je me sers de ce que font les autres et je suis incapable de faire directement un travail « personnel ». J’ai besoin d’utiliser des choses qui préexistent ; c’est pourquoi j’emploie la musique populaire dans mes vidéos. Quant à ma peinture, c’est une sorte de karaoké. J’aime répéter l’histoire de l’art autrement.
Autodidacte
Je viens d’un milieu où la télévision occupe une grande place. Dans ma famille, on ne trouvait que des disques de variété et de » la littérature populaire. J’ai une formation de gestion financière et lorsqu’à 23 ans je suis arrivé à Paris, je n’avais jamais vu de peinture. Je trouvais ça incroyable que l’on puisse s’intéresser à des choses accrochées au murs…Par l’intermédiaire d’un ami, j’ai rencontré Jean-charles Blais, et c’est donc par hasard que je suis entré dans le milieu de l’art.

Peintures

Parmi les peintres, c’est certainement Basquiat qui le premier m’a le plus intéressé ; je me sentais concerné par la dimension « accessible » de son travail. J’ai commencé à peindre au début des années 90. J’ai essayé de faire de la peinture « personnelle », mais je ne peux pas l’exposer. Je ne peux montrer qu’une peinture issue d’œuvres d’autres artistes. Il s’agit là de figures noires, semblables à des ombres chinoises, peintes sur des fonds monochromes aux couleurs saturées, et qui reprennent les compositions et les motifs d’œuvres plus ou moins connues de l’histoire de l’art ; d’Andréa Mantegna à Maurizio Cattelan en passant par Léon Belly ou Rineke Dijukstra. Il n’y a pas de classification. Tout m’intéresse. Et même la « très mauvaise » peinture.

Vidéos musicales
Au début de ces travaux, je n’appelais pas cela des vidéos, je les définissais comme des espaces de rencontres. Mao rencontre le groupe Abba ou encore Lacan croise Dalida.

Lacan Dalida

Je suis venu à la vidéo en lisant Lacan. Je pensais que ses textes étaient trop difficiles à lire, et puis j’ai lu Le Transfert, et j’ai découvert soudain l’aspect poétique de son écriture. Tout ce qui concerne le langage me passionne. J’ai notamment été frappé chez Lacan par cette idée magnifique de « l’autre de l’autre ». C’est une formule qui me fait rêver. Et c’est une chance pour moi de l’avoir trouvée dans les séminaires, car je voulais justement utiliser des extraits qui relèvent de la dimension orale de sa réflexion. Lacan est pour moi un performer. De la même façon, lorsque pendant trois ans j’ai assisté aux séminaires de Derrida, j’ai éprouvé cette extraordinaire sensation d’être en présence de quelqu’un en train de construire sa pensée.
On m’a raconté que Dalida allait voir Lacan. Je me suis demandé ce qu’ils pouvaient bien se dire… J’ai alors l’idée de travailler à partir d’une chanson de Dalida, « mourir sur scène », dont j’ai gardé la musique et remplacé les paroles par un extrait du Séminaire VII de Lacan ; puis j’ai enregistré un disque. Un ami, qui travaillait sur les environnements sonores de Fabrice Hybert, le lui a fait écouter pour rire. Hybert a voulu savoir s’il existait une vidéo pour éventuellement la mettre en ligne sur son site internet. C’est ainsi que j’ai réalisé en une soirée une vidéo où l’on voit deux profils en ombre chinoise se faire face et se répondre. Puisque Lacan et Dalida étaient morts, on pouvait les remplacer par des ombres, semblables à celles de mes peintures. En 2001, j’ai envoyé cette cassette à divers commissaires d’exposition, et obtenu un prix à Clermont-Ferrand. Ce qui m’a le plus surpris, c’est que Judith Miller et son mari m’ont fait savoir par le Seuil qu’ils disaient trouver ce travail très poétique.

Abba Mao

On m’a offert Le petit livre rouge et j’ai été surpris de constater que la partie consacrée aux artistes se trouve en dernière position, juste après le passage sur les femmes. J’ai lié un extrait de ce texte à la musique du titre Money, money, money du groupe Abba, car à ce moment là, j’ai pu lire aussi un entretien avec le ministre chinois de l ‘économie qui disait que la Chine pouvait très bien rester communiste tout en ayant une bourse capitaliste. Ce qui m’impressionne dans le texte de Mao, c’est cette idée que les artistes- pour qu’on puisse les comprendre- se doivent de travailler avec les ouvriers et les paysans, et employer la même langue. Là encore, il est question de langage, question essentielle pour moi qui vient d’un milieu populaire dans lequel mon travail n’est pas toujours compris.

I love America

C’est une vidéo qui divise…Jean-marc Chapoulie aime beaucoup sa radicalité. Dans ce travail, je n’utilise que le refrain et la musique de la chanson interprétée par Patrick Juvet, sans me mettre en scène. Après le 11 septembre, j’ai demandé à des amis américains ce qui les avait le plus marqué, et ils m’ont confié qu’ils avaient le sentiment de ne pas être aimés. J’ai alors mis en scène cinq figures qui chantent devant un drapeau américain et qui disparaissent l’une après l’autre.

L’axe du mal

J’ai été marqué – comme beaucoup- par le texte de Bush qui redéfinissait le territoire mondial selon deux pôles théologiques : le Bien et le Mal. J’ai choisi d’y associer l a musique de Jermaine Jackson & Pia Zadora, et je me suis dit qu’il serait intéressant de traiter le discours de Bush comme une déclaration d’amour. J’ai alors réalisé cette vidéo à la manière d’un clip où l’on voit un couple d’amoureux dans un lieu touristique. J’ai pris les chutes du Niagara comme décorum et symbole. Sur les images de ma vidéo, on voit toujours les chutes de loin car, ce qui m’amuse, c’est qu’elles servent en fait de prétextes aux enseignes publicitaires qui clignotent tout autour.

Barbara Cartland

Mon nouveau projet est né de ma fascination pour des personnalités extrêmement populaires, et notamment de ma curiosité pour l ‘écrivain Barbara Cartland, qui, avec cun milliard de livres vendus, peut se targuer du plus grand tirage du XXème siècle. Curieusement, je n’ai trouvé aucun de ses livres à la FNAC. Elle a pourtant écrit 723 livres. J’ai fini par m’en procurer un dans une grande surface. Il s’agit de Tout est bien, qui finit bien qui raconte l’histoire d’Amanda future comtesse… Je souhaite réaliser une vidéo en deux versions, l’une indienne, l’autre européenne. Alors que cette dernière sera interprétée par des acteurs âgés de 70 ans à 90 ans, l’autre sera jouée par des jeunes indiens et sera chantée comme un mantra, et le tout diffusé dans deux salles…