Pascal Lievre par Julie Crenn revue Branded

Le travail de Pascal Lièvre s’inscrit dans le sillage des artistes appropriationnistes puisqu’il se joue des citations, des emprunts et des reprises. Par la peinture, la vidéo, la performance et la photographie, il s’empare de l’histoire de l’art, dans son ensemble, pour la rejouer. Elle constitue une matière à travailler pour faire jaillir un espace critique. Les œuvres ne sont pas citées de manière fidèle, bien au contraire : les silhouettes sont détourées, remplies de peinture (bleue, blanche et rouge pour la sériée Made in France) ou bien chargées de paillettes. Les couleurs sont criardes, franches, scintillantes, provocantes. Il reprend ainsi l’araignée de Louise Bourgeois, les photographies de Rineke Dijskra ou de Robert Mapplethorpe, les points de Yayoi Kusama, une chanson de Madonna, une peinture Piet Mondrian ou de Jackson Pollock. Sans restriction ni limitation, l’artiste explore toutes les couches de la culture occidentale.

Pascal Lièvre conjugue l’histoire de l’art à la philosophie et aux questions relatives au genre (féminisme, queer). L’approche genrée-féministe joue d’ailleurs un moteur de plus en plus important dans son œuvre. De Nietzsche à Beyoncé en passant par Judith Butler ou Sol LeWitt, il mixe les registres (culturels, savants, populaires) pour dégager des axes critiques et politiques. Au fil des œuvres, l’artiste démantèle un système où le pouvoir est (encore et toujours) bien gardé entre les mains des hommes, blancs, hétérosexuels, classes moyennes et supérieures. Un système nourri de rapports de dominations sur un ensemble de groupes pensés comme étant minoritaires que l’artiste s’applique à mettre en lumière. Ainsi, il met en œuvre des Défilés Philosophiques, où des hommes uniquement vêtus de slips et de chaussures à talons, défilent en brandissant des pancartes. Leurs corps véhiculent des slogans, des citations de textes philosophiques, relatifs au corps et au genre. La performance combinée aux codes de la manifestation amène la politisation des corps. De même, un groupe de femmes vêtues d’abayas mauve, défile en présentant des extraits de textes féministes venus de tous les continents, de toutes les cultures. L’artiste évacue l’eurocentrisme au profit d’une réflexion où les points de vue s’entrechoquent et se complètent. Un travail qu’il poursuit avec le film intitulé Féminismes (2015) où nous voyons l’artiste tracer les noms de théoriciennes et militantes féministes sur un écran de paillettes noires. Les uns après les autres, les noms sont ensevelis par l’ajout de paillettes, une manière pour lui de signifier les amnésies, volontaires ou non, de la pensée dominante. À Ramallah, en juillet 2015, il propose un Aérobic Simone de Beauvoir. Le public était invité à réaliser une série de mouvement en répétant les mots de l’auteure du Deuxième Sexe (1949). Cet été, à Afiac, l’artiste s’est livré à deux projets performatifs inédits : transformer une maison lambda en une maison féministe et rebaptiser une place publique « Place Monique Wittig ». Chaque proposition invoque une prise de conscience. Alors, l’œuvre protéiforme de Pascal Lièvre participe à une lutte collective menée contre les différentes formes d’exclusions, contre l’invisibilité, le recouvrement et l’instrumentalisation de toutes celles et tous ceux qui pensent et agissent dans les marges.

http://crennjulie.com/2015/12/30/pascal-lievre-branded-12/